jeudi 24 octobre 2019

QUATRE JOURS À OUESSANT

   Il aura suffi que notre bateau s’éloigne de l’île, que s’amenuise la falaise du Stiff, jusqu’à devenir cette simple ligne sombre et brumeuse sombrant à l’horizon, pour que, se frottant les yeux, l’on se demande déjà si ces quatre journées passées à Ouessant par huit personnes du groupe LPO Mauges ont bien eu lieu, tant elles ont passé trop vite.

Photos : Catherine Lechevallier (1 & 2)

La fièvre du samedi après-midi.

   On a beau, comme certains d’entre nous, avoir fait bien des fois cette expédition automnale ouessantine ou, comme quelques autres, y participer pour la première fois, on ne peut s’empêcher de s’étonner de cette fièvre qui, en octobre, saisit ces dizaines d’ornithos sillonnant en vélo, dans tous les sens et à toute heure du jour, les routes et sentiers de l’île à la recherche des oiseaux rares signalés ici et là.
   Ainsi, la seule nouvelle de la présence d’une Grive obscure Turdus obscurus observée du côté d’Arland a-t-elle donné lieu à un afflux soudain de cyclistes dans la zone indiquée via les portables toujours en alerte. Arrivés sur les lieux, les novices de notre petit groupe ont pu mesurer jusqu’où allait la passion ornithologique en apercevant l’alignement formé par une cinquantaine de personnes – des mâles en grande majorité – regardant ensemble dans la même direction et scrutant à la longue-vue les prunelliers où se gavaient un groupe de Grives mauvis, sans d’ailleurs parvenir, pour la grande majorité, à « cocher » l’objet tant convoité de leur désir.

   Une personne non-avertie découvrant le spectacle pouvait croire à quelque cérémonie secrète, le rituel d’une secte – appelons-la « de la grive obscure » - dont les membres, penchés silencieusement vers des tubes posés sur des trépieds, attendaient quelque révélation à moins qu’ils ne soient déjà saisis d’un début de transe.

Photos : Katia Baudouin (1) et Catherine Lechevallier (2)

   Heureusement, les choses se passent parfois plus simplement. On se rend au lieu indiqué et, sans attendre, la « rareté » tant attendue se montre, sans manière aucune, aux observateurs. Ainsi cette Bartramie des champs Bartramia longicauda arpentant une prairie, indifférente à ses admirateurs qui, à quelques mètres, s’efforçaient de lui tirer le portrait. A l’inverse de cette facile vedette américaine, une Pie-grièche brune Lanius cristatus originaire de la lointaine Asie centrale n’aura offert aux observateurs que de bien trop brèves apparitions.

Bartramie des champs - Bartramia longicauda -
Photo : Catherine Lechevallier

Arrêts aux « stangs ».

   Inséparable des oiseaux, Ouessant c’est aussi une mosaïque de milieux et de paysages. Des plus ouverts aux plus fermés, des plus exposés aux plus abrités. Du côté de l’ouvert, la côte, ponctuée ça et là de pointes. À l’ouest, celle de Pern, ses rochers ridés, travaillés, sculptés par l’érosion et ses anses aux eaux plus tranquilles. Dans l’une, deux Phoques gris Halicœrus grypus font le spectacle tandis que, glissant sur l’océan, processionnent des cohortes pressées de Fous de Bassan.
   A Porz Doun, en face, de grandes allées de pelouses rases circulent entre des îlots de landes basses. C’est le domaine du Bruant lapon Calcarius lapponicus. Devant l’affluence des promeneurs, les quelques oiseaux présents ont préféré l’abri d’herbes plus hautes voisinant avec des coussinets d’ajoncs nains. Essayer de s’en approcher c’est à coup sûr provoquer leur envol et laisser à celles et ceux ne connaissant pas l’espèce, un goût d’inachevé avec ces silhouettes trop vite aperçues.

   Perchés sur les pelouses du belvédère de Kadoran, nous ratons de peu le Bruant des neiges Plectrophenax nivalis mais pas le spectacle grandiose de la côte courant jusqu’au Créach caressée par le soleil matinal, celui aussi d’un océan très calme où apparaissent de temps à autre de petits chapelets d’Alcidés, trop éloignés hélas pour être sûrement identifiés, mais aussi quelques dauphins venant fendre un instant la surface de l’eau.

(2) : Phoque gris - Halicœrus grypus -
(3) : Crave à bec rouge - Pyrrhocorax pyrrhocorax -
Photos : Katia Baudouin (1 & 2) et Catherine Lechevallier (3)

   A l’opposé de ces vastes paysages ouverts sur l’infini de l’océan, la chambre secrète et ombreuse de ces « stangs », petits vallons colonisés par des saulaies. Y pénétrer, c’est apercevoir un étrange entrelacs de troncs tourmentés et, au-dessus, dans le labyrinthe des branchettes et des feuillages filtrant les rayons du soleil, les mouvements furtifs des passereaux venus chercher gîte et couvert : mésanges, bouvreuils, roitelets, Pouillots véloces aux variations de plumage si déroutantes et, avec un peu de chance, celle d’un membre de l’équipe, Pouillot à grands sourcils Phylloscopus inornatus.

Pouillot véloce - Phylloscopus collybita -
Photos : Katia Baudouin (1) et Catherine Lechavallier (2)

   Difficile de dérouler en détail le menu de ces quatre journées ouessantines. Il y faudrait presque un livre. Tentons pourtant cet inventaire en guise de conclusion.
   Soixante-treize espèces d’oiseaux, des plus communs aux plus rares : citons entre autres ces Oies à bec court Anser brachyrhynchus ou encore cette Corneille mantelée Corvus cornix, sans oublier ces vols nombreux de Tarins des aulnes, de pinsons, de Grives litornes et mauvis traversant le ciel. De belles observations de phoques gris comme ce tout jeune « blanchon » escaladant sous nos yeux des coussins d’algues. 


Photo : Katia Baudouin

   Des paysages et des ambiances uniques. Une météo généreuse bien au-delà des prévisions. Des routes pentues avalées sans suées ni souffle court grâce aux vélos à assistance électrique. Des voitures et des touristes toujours plus nombreux. Des découvertes, des rencontres, des échanges, de petites frustrations de n’avoir pas réussi à voir tous les oiseaux qu’on espérait, mais aussi des fous rires et comme un air de grandes vacances partagé par Catherine, Frédérique, Katia, Sylvie, Didier, Hugues et Jean-Paul.

Jean-Michel Logeais