Par delà les Pyrénées, à une soixantaine de kilomètres à vol de
vautour au sud du Somport, existe un pays de cocagne pour
naturalistes en mal de nouveauté ou simplement travaillés par
quelques désirs de Sud. Un triangle, en gros, dont les localités de
Loarre, d’Ayerbe et d’Agüero tiendraient lieu de sommets. Le
climat méditerranéen y pousse encore jusque là sa chaleur et ses
marques : oliviers, amandiers, garrigues tapissées de genêts
épineux, de genévriers et fleurant bon le thym et le romarin.
Comparé à la France où agriculture intensive et urbanisation
conjuguent trop souvent leurs entreprises pour mettre à mal et
réduire au minimum friches et espaces inexploitables, L’Espagne
recèle en revanche encore beaucoup de ces espaces incultes où
foisonne à l’envi la vie sauvage.
Du 7 au 10 mai, huit naturalistes du groupe LPO Mauges ont eu la
chance de parcourir ce petit coin de paradis et d’en ramener une
moisson d’observations et d’ambiances.
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Paysage typique de la plaine de Huesca |
Autour de la gare de Riglos.
Sur de faibles pentes exposées SSO, une mosaïque de milieux
(vergers d’amandiers, petites pinèdes, cultures, garrigues…) est
l’occasion pour le groupe d’observer une belle diversité de
passereaux : Guêpier d’Europe, Torcol fourmilier,
Fauvettes mélanocéphale et passerinette, Hypolaïs polyglotte,
Pouillot de Bonelli, Pie grièche à tête rousse (un couple en
phase d’installation), Moineau soulcie et, plus inattendu,
ce Gobemouche noir dans sa livrée nuptiale noire et blanche.
Cochevis huppé, Rossignol philomèle, Linotte mélodieuse, Serin
cini et Bruant proyer font ici partie des espèces communes,
contactées tout au long de nos diverses sorties.
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Pie-grièche à tête rousse - Lanius senator - |
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Bruant proyer - Emberiza calandra - |
Les Mallos de Riglos.
Culminant à environ 1000 mètres, leurs trois cents mètres de
falaises de conglomérats retravaillés par des millions d’année
d’érosion font ressembler le paysage à un décor de western.
C’est le domaine des oiseaux rupicoles : Vautour fauve,
Percnoptère d’Egypte, Faucon pèlerin, Martinets à ventre blanc,
Hirondelles de rocher, Monticole bleu, Grand corbeau et Crave à bec
rouge. Au pied des falaises, une garrigue fournie accueille
diverses fauvettes dont la Fauvette pitchou. La fascination
qu’exerce sur les observateurs l’envol matinal des vautours et
d’un couple de percnoptères ne les empêche pas d’apprécier
l’irruption d’un Aigle botté en phase claire (l’espèce
sera souvent vue pendant le séjour), la glissade élégante d’un
Milan royal (omniprésent), la silhouette élancée de deux
Bondrées apivores. Au retour, non loin du village, un chant
gracieux et peu familier retient notre attention. L’oiseau, d’abord
caché, vient se percher un instant en évidence : un magnifique
mâle de Fauvette orphée.
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Aigle botté - Hieraaetus pennatus - sous la forme claire et Hirondelle de rochers - Ptyonoprogne rupestris - |
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Fauvette pitchou - Sylvia undata - |
Le mirador de los buitres.
Face aux Mallos, s’étire un long plateau à l’extrémité duquel
on trouve un modeste observatoire. De là, la vue plonge directement
sur les vires où nichent les vautours et où les jeunes, encore non
volants, sont présents. C’est l’occasion d’admirer de plus
près, en dessous de nous et à notre hauteur, le vol majestueux et
maîtrisé de ces oiseaux impressionnants allant et venant dans ce
cirque aux parois vertigineuses. Admirables aussi ces plongeons et
ces ressources fulgurantes des Martinets à ventre blanc. De
temps à autre nous apercevons, transitant vers le nord, des petits
groupes de Bondrées apivores. De ces hauteurs, le paysage
vers le sud est sublime : la plaine de Huesca ponctuée de
petites mesas et de buttes témoin. Et très loin vers le
sud-ouest, émergeant de la brume, les hauteurs enneigées de la
sierra de Moncayo, porte d’entrée de la Castille. De part et
d’autre de la longue piste menant du castillo de Marcuello au
mirador, s’étale une garrigue fleurie où le jaune des genets
épineux se marie au parme clair des romarins et des thyms. Des yeux
experts y repèrent aussi, outre des tulipes sauvages à peine
écloses (Tulipe méridionale ?), des narcisses nains
(Narcissus rupicola ?) et des fritillaires (Fritillaria
hispanica). C’est aussi l’occasion d’observer Tarier
pâtre, Fauvette pitchou et Bruant fou. Là où la végétation
est moins dense, se laisse admirer un très probable Cochevis de
Thékla (on sait à quel point l’identification de l’espèce
est délicate !) et un Pipit rousseline. Un peu plus bas,
par deux fois, le cocktail rutilant de bleu, de rouge, de
blanc et de brun sombre d’un mâle de Monticole de roche
fait le spectacle.
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Los Mallos de Riglos depuis le mirador de los buitres |
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Vautour fauve - Gyps fulvus - |
Mallos de Agüero.
A l’ouest de Riglos, au-delà du Gallego et dominant un petit
village blanc, s’élèvent de « petits mallos » aux
allures de forteresse, avec ses tours, ses remparts et ses
contreforts. Un chemin sinuant entre les buis et les genévriers en
fait le tour, permettant d’observer à loisir les oiseaux qui
s’élancent des falaises ou bien y reviennent s’y poser. Tout le
monde attend le Gypaète barbu. Il est par chance au
rendez-vous. D’abord un individu immature au plumage encore bien
sombre. Deux adultes ensuite, et leur silhouette si caractéristique
de faucon géant traversant le ciel d’un vol tranquille avant de
disparaître, avalée par une crête. Sur la fin de notre boucle un
mâle de Fauvette mélanocéphale (espèce omniprésente)
vient arborer un instant au sommet d’un arbuste son casque noir et
sa gorge claire. Plus loin, la flûte élégante d’un Monticole
bleu résonne dans la paroi toute proche. A la faveur de ses
déplacements, il est enfin localisé et son plumage bleu acier
dûment admiré. A proximité, un essaim d’hirondelles s’active :
des Hirondelles de fenêtre et des Hirondelles de rocher mêlent
leurs cris à proximité des nids accrochés dans les creux abrités
des falaises.
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Gypaètes barbus - Gypaetus barbatus - |
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Los Mallos de Agüero |
Les à-côtés.
Une sortie naturaliste ne serait rien sans les à-côtés. Je veux
parler de tous ces arrêts, à l’occasion de nos déplacements
conduisant à tel ou tel site. Quelques exemples. A quelques
encablures de notre gîte (un palace !), jouxtant une zone
industrielle désertée, ces quelques hectares de friches aux allures
steppiques et d’où s’élance en chantant une Alouette
calandrelle, et s’activent Cochevis huppés et Traquet
oreillard. C’est de là aussi que nous apercevons, allant vers
le nord, un Balbuzard pêcheur. Ou bien encore ce
« Barranco », en contrebas de notre gîte où nous
observons longuement, dans les derniers rayons du soleil, l’ocre et
le noir d’un superbe Traquet oreillard, la silhouette
élancée d’un Pipit rousseline, sans parler des
infatigables allées et venues d’une troupe bavarde de Guêpiers
d’Europe.
Sur la route du retour, il y a aussi cette petite roselière où
chante une Rousserolle turdoïde. A Puente la Reina, sur le
Rio Aragon, cet îlot de galets où niche un couple de Petits
gravelots. Enfin, avant le Somport, ces pelouses montagnardes,
fraîchement fleuries, où vient d’arriver un Pipit spioncelle
et, sur les arbustes des pentes, un couple de Pies-grièches
écorcheurs. Deux Venturons montagnards, observés
brièvement au col, viendront mettre un point final à nos
observations.
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Arrêt à proximité de l'Embalse de las Navas |
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Traquet oreillard - Oenanthe hispanica - |
Difficile de ne pas oublier ces journées intenses, chaleureuses,
conviviales et remarquablement servies par une météo agréable. 96
espèces d’oiseaux dont 15 de rapaces (pour certaines et certains
le compteur à coches a dû prendre un sérieux coup de chaud !),
des fleurs en nombre dont pas mal d’orchidées (Ophrys miroir et
bécasse notamment), et, en vrac, des écrevisses, des papillons,
des isards, des tarentes (Tarentola mauritanica)… je dois
forcément en oublier.
Merci encore à Catherine, à Frédérique, à Katia, à Hugues, à
Jean-Do, à Lucas et à Vincent, à leur bonne humeur et à leur
enthousiasme, à leurs compétences photographiques, logistiques,
culinaires, botaniques, géologiques, etc. etc., toutes choses ayant
contribué à la belle réussite de cette escapade aragonaise.