mercredi 16 mai 2018

Escapade au pays des Mallos

Par delà les Pyrénées, à une soixantaine de kilomètres à vol de vautour au sud du Somport, existe un pays de cocagne pour naturalistes en mal de nouveauté ou simplement travaillés par quelques désirs de Sud. Un triangle, en gros, dont les localités de Loarre, d’Ayerbe et d’Agüero tiendraient lieu de sommets. Le climat méditerranéen y pousse encore jusque là sa chaleur et ses marques : oliviers, amandiers, garrigues tapissées de genêts épineux, de genévriers et fleurant bon le thym et le romarin. Comparé à la France où agriculture intensive et urbanisation conjuguent trop souvent leurs entreprises pour mettre à mal et réduire au minimum friches et espaces inexploitables, L’Espagne recèle en revanche encore beaucoup de ces espaces incultes où foisonne à l’envi la vie sauvage.
Du 7 au 10 mai, huit naturalistes du groupe LPO Mauges ont eu la chance de parcourir ce petit coin de paradis et d’en ramener une moisson d’observations et d’ambiances.

Paysage typique de la plaine de Huesca

Autour de la gare de Riglos.

Sur de faibles pentes exposées SSO, une mosaïque de milieux (vergers d’amandiers, petites pinèdes, cultures, garrigues…) est l’occasion pour le groupe d’observer une belle diversité de passereaux : Guêpier d’Europe, Torcol fourmilier, Fauvettes mélanocéphale et passerinette, Hypolaïs polyglotte, Pouillot de Bonelli, Pie grièche à tête rousse (un couple en phase d’installation), Moineau soulcie et, plus inattendu, ce Gobemouche noir dans sa livrée nuptiale noire et blanche. Cochevis huppé, Rossignol philomèle, Linotte mélodieuse, Serin cini et Bruant proyer font ici partie des espèces communes, contactées tout au long de nos diverses sorties.


Pie-grièche à tête rousse - Lanius senator
Bruant proyer  - Emberiza calandra -

Les Mallos de Riglos.

Culminant à environ 1000 mètres, leurs trois cents mètres de falaises de conglomérats retravaillés par des millions d’année d’érosion font ressembler le paysage à un décor de western. C’est le domaine des oiseaux rupicoles : Vautour fauve, Percnoptère d’Egypte, Faucon pèlerin, Martinets à ventre blanc, Hirondelles de rocher, Monticole bleu, Grand corbeau et Crave à bec rouge. Au pied des falaises, une garrigue fournie accueille diverses fauvettes dont la Fauvette pitchou. La fascination qu’exerce sur les observateurs l’envol matinal des vautours et d’un couple de percnoptères ne les empêche pas d’apprécier l’irruption d’un Aigle botté en phase claire (l’espèce sera souvent vue pendant le séjour), la glissade élégante d’un Milan royal (omniprésent), la silhouette élancée de deux Bondrées apivores. Au retour, non loin du village, un chant gracieux et peu familier retient notre attention. L’oiseau, d’abord caché, vient se percher un instant en évidence : un magnifique mâle de Fauvette orphée.


Aigle botté - Hieraaetus pennatus - sous la forme claire
et Hirondelle de rochers - Ptyonoprogne rupestris -
Fauvette pitchou - Sylvia undata -

Le mirador de los buitres.

Face aux Mallos, s’étire un long plateau à l’extrémité duquel on trouve un modeste observatoire. De là, la vue plonge directement sur les vires où nichent les vautours et où les jeunes, encore non volants, sont présents. C’est l’occasion d’admirer de plus près, en dessous de nous et à notre hauteur, le vol majestueux et maîtrisé de ces oiseaux impressionnants allant et venant dans ce cirque aux parois vertigineuses. Admirables aussi ces plongeons et ces ressources fulgurantes des Martinets à ventre blanc. De temps à autre nous apercevons, transitant vers le nord, des petits groupes de Bondrées apivores. De ces hauteurs, le paysage vers le sud est sublime : la plaine de Huesca ponctuée de petites mesas et de buttes témoin. Et très loin vers le sud-ouest, émergeant de la brume, les hauteurs enneigées de la sierra de Moncayo, porte d’entrée de la Castille. De part et d’autre de la longue piste menant du castillo de Marcuello au mirador, s’étale une garrigue fleurie où le jaune des genets épineux se marie au parme clair des romarins et des thyms. Des yeux experts y repèrent aussi, outre des tulipes sauvages à peine écloses (Tulipe méridionale ?), des narcisses nains (Narcissus rupicola ?) et des fritillaires (Fritillaria hispanica). C’est aussi l’occasion d’observer Tarier pâtre, Fauvette pitchou et Bruant fou. Là où la végétation est moins dense, se laisse admirer un très probable Cochevis de Thékla (on sait à quel point l’identification de l’espèce est délicate !) et un Pipit rousseline. Un peu plus bas, par deux fois, le cocktail rutilant de bleu, de rouge, de blanc et de brun sombre d’un mâle de Monticole de roche fait le spectacle.


Los Mallos de Riglos depuis le mirador de los buitres
Vautour fauve - Gyps fulvus -

Mallos de Agüero.

A l’ouest de Riglos, au-delà du Gallego et dominant un petit village blanc, s’élèvent de « petits mallos » aux allures de forteresse, avec ses tours, ses remparts et ses contreforts. Un chemin sinuant entre les buis et les genévriers en fait le tour, permettant d’observer à loisir les oiseaux qui s’élancent des falaises ou bien y reviennent s’y poser. Tout le monde attend le Gypaète barbu. Il est par chance au rendez-vous. D’abord un individu immature au plumage encore bien sombre. Deux adultes ensuite, et leur silhouette si caractéristique de faucon géant traversant le ciel d’un vol tranquille avant de disparaître, avalée par une crête. Sur la fin de notre boucle un mâle de Fauvette mélanocéphale (espèce omniprésente) vient arborer un instant au sommet d’un arbuste son casque noir et sa gorge claire. Plus loin, la flûte élégante d’un Monticole bleu résonne dans la paroi toute proche. A la faveur de ses déplacements, il est enfin localisé et son plumage bleu acier dûment admiré. A proximité, un essaim d’hirondelles s’active : des Hirondelles de fenêtre et des Hirondelles de rocher mêlent leurs cris à proximité des nids accrochés dans les creux abrités des falaises.

Gypaètes barbus - Gypaetus barbatus -
Los Mallos de Agüero

Les à-côtés.

Une sortie naturaliste ne serait rien sans les à-côtés. Je veux parler de tous ces arrêts, à l’occasion de nos déplacements conduisant à tel ou tel site. Quelques exemples. A quelques encablures de notre gîte (un palace !), jouxtant une zone industrielle désertée, ces quelques hectares de friches aux allures steppiques et d’où s’élance en chantant une Alouette calandrelle, et s’activent Cochevis huppés et Traquet oreillard. C’est de là aussi que nous apercevons, allant vers le nord, un Balbuzard pêcheur. Ou bien encore ce « Barranco », en contrebas de notre gîte où nous observons longuement, dans les derniers rayons du soleil, l’ocre et le noir d’un superbe Traquet oreillard, la silhouette élancée d’un Pipit rousseline, sans parler des infatigables allées et venues d’une troupe bavarde de Guêpiers d’Europe.
Sur la route du retour, il y a aussi cette petite roselière où chante une Rousserolle turdoïde. A Puente la Reina, sur le Rio Aragon, cet îlot de galets où niche un couple de Petits gravelots. Enfin, avant le Somport, ces pelouses montagnardes, fraîchement fleuries, où vient d’arriver un Pipit spioncelle et, sur les arbustes des pentes, un couple de Pies-grièches écorcheurs. Deux Venturons montagnards, observés brièvement au col, viendront mettre un point final à nos observations.


Arrêt à proximité de l'Embalse de las Navas
Traquet oreillard - Oenanthe hispanica -

Difficile de ne pas oublier ces journées intenses, chaleureuses, conviviales et remarquablement servies par une météo agréable. 96 espèces d’oiseaux dont 15 de rapaces (pour certaines et certains le compteur à coches a dû prendre un sérieux coup de chaud !), des fleurs en nombre dont pas mal d’orchidées (Ophrys miroir et bécasse notamment), et, en vrac, des écrevisses, des papillons, des isards, des tarentes (Tarentola mauritanica)… je dois forcément en oublier.

Merci encore à Catherine, à Frédérique, à Katia, à Hugues, à Jean-Do, à Lucas et à Vincent, à leur bonne humeur et à leur enthousiasme, à leurs compétences photographiques, logistiques, culinaires, botaniques, géologiques, etc. etc., toutes choses ayant contribué à la belle réussite de cette escapade aragonaise.


Jean-Michel LOGEAIS